Commentaires sur le rapport du Conseil National des Droits de l’Homme (Maroc) à propos du Hirak du Rif (Hirak Al-Rif)
MOT DE L’ASSOCIATION TAFRA
Le 05 mars 2021, nous marque le quatrième anniversaire de l’adoption du document de revendication du mouvement de protestation populaire du Rif (dit le Hirak) après qu’il ait été adopté publiquement le 5 mars 2017 sur la place Calabonita à Al Hoceima, dans le nord du Maroc. A cette importante occasion, l’association TAFRA est honorée de s’associer avec l’Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), de publier et de partager ce commentaire à propos du rapport du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) sur le Hirak du Rif, dans l’espoir que ce document analytique élaboré suite à un effort sincère et objectif de ses auteurs fournira l’occasion d’une action calme et constructive et incitera à la rédaction d’autres commentaires sur le rapport du CNDH. Nous affirmons que l’association TAFRA est disposée à coopérer avec toutes les bonnes volontés dans toute action collective qui tend dans cette direction.
Nous avons l’intention, en co-publiant cet excellent commentaire à cette occasion, de contribuer à restaurer le symbolisme de cet évènement (le Hirak) aux connotations profondes et intenses et rappeler la centralité du dossier de revendications en termes de méthodologie et de formulation, de partage et de méthodologie démocratique adoptée lors de son approbation, ainsi que la légitimité et la crédibilité des revendications. Nous voulons également rappeler la légitimité du mouvement du Hirak du Rif et affirmer l’innocence de ses détenus politiques, qui doivent être tous libérés sans condition et nous alertons l’Etat marocain sur son erreur historique face au mouvement puisqu’il adopté une approche purement sécuritaire et répressive à travers laquelle il a inauguré une nouvelle page de ses violations flagrantes des Droits de l’Homme dans la région du Rif à l’échelle nationale.
Ce commentaire est le premier du genre dans son exactitude théorique et conceptuelle et la pertinence de ses commentaires à propos du rapport du CNDH, il réfute du point de vue juridique et de la pratique des droits de l’homme les allégations du Conseil et ses affirmations puisées dans les PV des officiers de police judiciaire et les prétentions du parquet général et aussi des déclarations de la défense de la partie civile et des faux témoins. Le commentaire réfute la diabolisation du Hirak populaire du Rif, laquelle diabolisation avait pour but de réduire le Hirak à des actes violences et à la propagation de la haine, de l’extrémisme et du racisme, seulement parce qu’il a appelé l’État à reconnaître l’histoire particulière de cette région et à rendre hommage à ses symboles et aussi à révéler la vérité sur les graves violations des droits de l’homme qu’il y a commises au cours d’un siècle entier.
Bien que le Conseil reconnaisse que ce qui a été vécu dans la région du Rif est « un événement exceptionnel dans la vie économique et culturelle du Maroc moderne, par sa durée, sa taille et ses répercussions » et qu’il est « unique dans le contexte des Droits de l’Homme au Maroc », il a essayé d’ôter à ce Hirak de son identité et de son caractère sociétal en lui refusant l’appellation Hirak et en le réduisant au terme général de «Manifestations d’Al-Hoceima », et a même tenté d’effacer sa réalité pacifique, civilisée et revendicative en adoptant la version officielle pour innocenter l’Etat des violations des droits tout en essayant désespérément de refuser aux détenus de ce Hirak le statut de prisonniers politiques.
Le rapport du Conseil a tenté de justifier la gestion du mouvement du Rif par la répression et la violence de l’État en distinguant entre deux phases : celle des manifestations pacifiques se terminant le 26 mars 2017 et celle ultérieure des manifestations violentes. Cependant, le retour à la chronologie du mouvement montre que le recours de l’Etat à la répression et à la violence a commencé immédiatement après l’introduction du projet de dossier de revendications, soit en imposant un siège à la ville d’Al Hoceima et en occupant ses places qui accueillaient les manifestations du Hirak, comme ce fut le cas lors de l’encerclement de la place Mohammed VI (place des Martyrs) sous prétexte d’organiser une exposition de produits traditionnels, ou par la répression des manifestants et l’interdiction des rassemblements des militants et leur poursuite dans les rues de la ville comme c’était le cas avec l’interdiction de la marche pour commémorer la mort de Mohammed ben Abdelkrim Al Khattabi et l’approbation du dossier revendicatif le jour même, soit le 5 février 2017. Le fait que le rapport du Conseil passe sous silence c’est que les militants du Hirak, malgré cette terrible atmosphère imposée par l’Etat dans la ville d’Al Hoceima, ont appelé dans leurs communiqués les citoyens à demeurer calmes et à éviter de réagir aux provocations des forces de sécurité et à s’accrocher au caractère pacifique, ce qui a donné au Hirak un plus d’intensité dans la mesure où les manifestations ont gagné le villes d’Imzouren, Beni Bouayach, Boukidaren, Tamssint, Nador, Laroui, Targuist, Selouan, Oulad Mghar,
Ainsi, la première tentative d’en finir avec le Hirak a échoué, et s’est terminée par la percée du siège d’Al-Hoceima et l’approbation du dossier revendicatif le 5 mars 2017.
Au moment où le rapport du Conseil évite de mentionner le caractère pacifique, et civilisé des protestations du mouvement Hirak dans le but de lui refuser son identité culturelle et communautaire et de le réduire à l’extrémisme, à la haine, au racisme et l’enfermement, il s’est évertué à luire l’image de l’État et de ses organes sécuritaires et à le présenter comme une victime en passant sous silence la violence des agents de cet état. Il a été féroce contre le Hirak et a même justifié ouvertement cette violence par des allégations mensongères, de fausses accusations et de faux faits et une sélectivité flagrante, comme si les services de sécurité de l’État ne torturaient pas les détenus, ne pillaient pas les maisons, ne cassaient pas les portes, ne détruisaient pas les biens privés et publics et ne pratiquaient jamais la violence verbale et physique contre les citoyens et n’entravaient pas leur droit de se déplacer librement, sans distinction d’appartenance ethnique, de sexe ou d’âge et comme s’ils n’avaient pas abattu un citoyen par balles.
Afin de crédibiliser ses conclusions, le rapport a affirmé sans vergogne qu’il avait « tenu une réunion avec l’association Tafra sur ce qui s’est passé », suggérant que la réunion avait pour objet le contenu du rapport. Nous considérons cette fausse affirmation comme une falsification des faits et une faute morale de la composition actuelle du Conseil, qui sape l’objectivité et l’impartialité qu’il revendique et questionne ses véritables objectifs. Nous affirmons que la réunion avec le CNDH n’a pas porté sur le rapport, mais sur la situation tragique des détenus du Hirak dans diverses prisons, où nous avons demandé au Conseil d’user de ses compétences constitutionnelles et légales et d’intervenir auprès du Commissariat général de l’administration pénitentiaire pour rassembler les détenus dans la prison la plus proche de leurs familles et fournir un moyen pour le transport des familles les des visites et de leur permettre de consulter les dossiers médicaux de leurs enfants, ainsi que d’autres demandes des détenus politiques qui étaient urgentes à ce moment-là. L’une des anecdotes de cette réunion a été ce que M. Ahmed Zafzafi, Président de l’association Tafra, a dit la présidente du CNDH lorsque cette dernière a essayé de justifier le retard du Conseil dans la publication de son rapport: « Libérez les enfants et gardez le rapport ». Malheureusement les membres du Conseil n’ont pas écouté ce conseil et ont préféré jouer le rôle du faux témoin qui s’active à justifier les multiples violations des droits de l’homme, transformer la victime en bourreau et acquitter les auteurs de graves violations des droits de l’homme contre les militants et le population du Rif en général (usage intense des gaz lacrymogènes, enlèvement et détention abusive, destruction des biens publics et privés, torture physique et morale, verdicts injustes, militarisation injustifiée de la région).
L’insistance du conseil à inclure des faits non objectifs et des conclusions subjectives fait que ce rapport n’est pas un document du domaine des droits de l’Homme mais plus un récit de nature politique conforme au discours purement sécuritaire des autorités et de la majorité gouvernementale, et en termes plus précis, ce rapport qui équivaut à une falsification de l’histoire.
Par conséquent, nous attirons l’attention de l’État sur la nécessité de mettre en œuvre la justice, l’équité et la reconnaissance face aux répercussions du Hirak du Rif, car quelle que soit la sincérité de ses promesses pour l’avenir du Rif, son passé continuera de ressusciter si les blessures de ce passé ne sont pas soignées avec équité.
TAFRA, 05 mars 2021
L’Association des Travailleurs Maghrébins de France et l’Association TAFRA pour la solidarité et la fidélité diffusent conjointement un commentaire à propos du Rapport du conseil national des droits de l’homme sur le Hirak du Rif : Pourquoi ?
Pourquoi le commentaire ?
Le Commentaire est un document factuel, reposant sur des événements documentés, datés et précisés, mais également un éclairage s’appuyant sur une analyse juridique. Il a pour objectif de mettre en exergue les aspects subjectifs et fallacieux portées par certaines affirmations du conseil national des droits de l’homme, révélatrices d’une compromission et d’une instrumentalisation de cet organe. C’est également, un outil pour relancer une campagne en faveur de la libération des militants du Hirak, de tous les militants et citoyens victimes de la répression.
Pourquoi aujourd’hui ?
L’actualité au Maroc, est une succession de démonstrations prouvant, si besoin, que le Hirak du Rif est une expression populaire de revendications dénonçant l’impasse de politiques économiques, sociales et culturelles basées sur un système prédateur s’accaparant les richesses du pays, usant d’une répression systémique de toute forme de contestation ou d’expression critique.
L’État de non-droit, s’est particulièrement illustré en condamnant les militants du « Hirak » du Rif à de lourdes peines, pour certains, allant à 20 ans de prison. Une répression qui n’est pas une exception. Elle n’a cessé et continue, de s’abattre sur des citoyens, des artistes, des youtubeurs, des activistes de droits humains. De nombreux journalistes sont accusés de violences sexuelles, de viols, de trafics d’êtres humains, de blanchiment, d’atteinte à la sécurité d’état… Une surveillance de masse est à l’œuvre, allant jusqu’à infiltrer les téléphones de certains militants par coûteux logiciel espion Pegasus de l’entreprise israélienne NSO.
Tout en instaurant un climat de terreur, le régime au Maroc continue à revendiquer une prétendue ouverture démocratique. Pour cela, il a recours à une conjonction entre l’appareil policier et judiciaire, prétendant que le droit est respecté. Ces pratiques sont exportées en dehors du Maroc. Un communiqué commun de la DGSN, de la DGST et de la DGED, annonce le dépôt de plaintes contre les personnes portant atteinte aux institutions marocaines depuis l’étranger, l’arrestation du youtubeur américano-marocain.
Face à ces graves atteintes aux libertés et aux droits humains, c’est le silence coupable. Les intérêts d’un Etat, et particulièrement ceux de la France, ne peuvent être une raison pour sacrifier ceux des peuples se battant pour leur dignité, la justice sociale, la liberté et la démocratie.
C’est pourquoi, s’impose l’exigence de la liberté pour toutes les voix contestantes, dénonçant l’arbitraire, la marginalisation sociale et culturelle, ainsi que l’absence de perspectives poussant toute une jeunesse à sacrifier sa vie dans des barques de la mort. C’est pourquoi, s’impose l’exigence de la libération des militants du Hirak du Rif et de tous les Hirak.
ATMF, 05 mars 2021
Contribution d’Aboubakr Jamaï : journaliste et universitaire
Cette étude fait œuvre utile. Sa mission première est d’exposer les défaillances d’un rapport émanant d’une organisation censée protéger les droits de l’homme. Ce faisant, elle jette une lumière crue sur la fonction politique du CNDH : rendre présentable l’autoritarisme du régime marocain.
Comme l’atteste la présente étude, le CNDH fait partie de ces nombreux faux nez institutionnels dont se pare le système. Ils permettent de maintenir l’illusion de la démocratisation si ce n’est de la démocratie. Il est bien arrivé au CNDH de pointer les manquements de l’Etat. Son ancien président a bien déclaré, que des militants du Hirak avaient été torturés. Mais il l’a fait comme le ferait une montre cassée qui donne l’heure, juste deux fois par jour. Ce n’est donc pas le moindre des intérêts de cette étude, que de montrer par la preuve, et non l’incantation, la facticité de ces institutions cache-sexe.
Ce rapport contribue surtout à mieux mesurer l’importance du Hirak dans la série d’événements majeurs qui façonnent l’ardu chemin vers un Maroc de la dignité et de la liberté. Il documente le prix élevé payé par les femmes et les hommes qui ont mené et participé à ce Hirak. Mais leurs sacrifices n’auront pas été vains. Le mouvement du 20 Février avait poussé le régime à reconnaître dans le discours, que l’on peut qualifier d’armistice du 9 Mars 2011, l’obsolescence de ses institutions politiques. Le Hirak du Rif a forcé le régime à des réactions autoritaristes qui ont souligné la fiction des réformes soi-disant démocratiques de l’après 2011 et de sa constitution octroyée. Après les sévices infligés à Nacer Zefzafi et ses compagnons, après la parodie de justice dont ils ont été victimes, qui peut encore prétendre que la constitution de 2011 et les institutions qui en sont nés constituent un tournant démocratique ?
Le Hirak est survenu dans une région électoralement dominée par le Parti de l’Authenticité et de la Modernité. Un parti fondé par le conseiller du Roi le plus influent du régime. Si le Hirak en a démontré l’insignifiance, il a surtout souligné la vanité des projets politiques préfabriqués face à au mécontentement des citoyens.
Le Hirak a poussé le régime à un autre aveu d’échec. Celui de son modèle économique. C’est un vieil argument de l’autoritarisme, que de prétendre que sa gouvernance économique est plus efficace que celle des régimes démocratiques. Grâce aux militants du Hirak, celui du Maroc aura vécu. La liste des revendications économiques et sociales défendue par le Hirak, a souligné l’ineptie d’un modèle économique rentier basé sur les investissements de prestige sans réel impact sur le bien-être des citoyens.
Enfin et ce n’est pas le moindre des enseignements. Le Hirak a généré un groupe de jeunes leaders. Par leur courage et l’articulation de leur action, ils ont démenti la thèse de la décérébration politique des jeunes générations. S‘ils paient cher leur militantisme, ils ont semé les graines d’un Maroc meilleur.
05 mars 2021
Cliquer sur le lien pour télécharger le rapport : Commentaire Rapport CNDH – Maroc