Ni indemnisations, ni amnistie, Toute la Vérité, Rien que la Vérité
COMMUNIQUE
Le Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie et SOS disparu(e)s prennent acte avec regret des premières conclusions du rapport de la commission ad hoc remis par M. Ksentini au président Bouteflika le 31 mars 2005.
En effet, bien que le contenu exact de ce rapport n’ait pas pour encore été rendu public, il s’avère déjà que les premières déclarations de Farouk Ksentini sur celui-ci reflète ce que nos associations pressentaient depuis longtemps : la commission ad hoc exonère l’Etat de sa culpabilité en attribuant les disparitions à des agents « isolés » et préconise, une nouvelle fois, de clore ce dossier par l’attribution d’indemnisations qui dédouaneront l’Etat de toutes ses obligations. L’amnistie générale pourra ensuite être votée et le gouvernement algérien dormira sur ses deux oreilles.
Dans ses dernières déclarations, M. Ksentini clame à qui veut l’entendre que les proches des disparus auront le droit et doivent introduire des recours en justice si elles le souhaitent, alors que, dans le même temps, il se déclare favorable à une amnistie étendue aux agents de l’Etat. Faut-il rappeler à M. Ksentini que les familles de disparus n’ont jamais cessé de déposer des plaintes devant les tribunaux algériens, plaintes qui identifiaient souvent les personnes responsables de ces disparitions ? Encore aujourd’hui, beaucoup d’entre elles n’ont pas désespéré d’obtenir justice en renouvelant leurs plaintes.
Toutefois, ces familles se heurtent toutes à l’impuissance de la Justice qui, dans le meilleur des cas, rend des ordonnances de non lieu, et dans le pire, classe les affaires. Nous comprenons maintenant pourquoi M. Ksentini invite sans crainte les victimes à déposer plainte, puisque d’ici quelques mois, les auteurs des disparitions forcées seront amnistiés !
Il est vrai que le président de la commission ad hoc n’en est pas à sa première contradiction et certaines d’entre elles sont édifiantes. L’amnistie générale, par définition, efface les crimes et ne laisse donc plus de place à la justice. Si le crime n’existe plus, il n’y a plus ni criminel, ni victime.
Autre fait d’importance, la commission ad hoc, au terme de son mandat, indique avoir comptabilisé 6 146 cas de disparitions du fait d’agents de l’Etat. Pourtant, nous continuons à soutenir que nous avons constitué plus de 8 000 dossiers et que le nombre total est encore inconnu.
De même, nous demandons à M. Ksentini d’expliquer aux familles des disparus comment 6146 agents de l’Etat ont pu échapper aux ordres de leurs supérieurs ? En considérant que les disparitions étaient la plupart du temps le résultat d’opérations de ratissage opérées par la complicité des 3 corps constitués de l’Etat – gendarmerie, police, armée – comment peut-on raisonnablement croire que les actes criminels de tous ces agents ont pu échapper à l’Etat ? De plus, M. Ksentini a-t-il demandé aux agents impliqués où étaient les 6 146 personnes disparues, car c’est avant tout cette vérité qui intéresse les familles.
Enfin, s’agissant de la réparation pour les victimes, le rapport de la commission ad hoc revient sur la sempiternelle solution consistant à clore le dossier des disparitions par des indemnisations. Nos associations ont maintes fois rappelé que les indemnisations ne pouvaient opérer un règlement total et juste du dossier des disparitions, il ne peut être question pour les familles de troquer la justice et la vérité contre de l’argent.
L’indemnisation de toutes les familles pour les souffrances endurées est un droit aussi naturel que le sont le droit à la justice et le droit à la vérité. Pourquoi alors avancer cette question interminablement puisque qu’il s’agit là d’un droit légitime pour toutes les familles ?
Si la reconnaissance des disparitions du fait d’agents de l’Etat par la commission ad hoc est, pour nos associations, une première victoire, il n’en demeure pas moins que le rapport de la commission ad hoc ne fait que reprendre ce que les familles de disparus se sont évertuées à faire entendre toutes ces dernières années. C’est une autre vérité que les victimes attendent, une vérité qui nécessite un véritable courage politique pour que l’Etat reconnaisse enfin sa responsabilité et sa culpabilité.
Ni les indemnisations, ni l’amnistie générale, ni aucune tentative visant à étouffer le dossier des disparus n’arrêterons les familles dans leur quête de vérité et de justice.
Paris, Alger, le 6 avril 2005
P/ le CFDA : Nassera Dutour, Porte parole
P/ SOS disparu(e)s : Fatima Yous, Présidente